La mort du progrès nous laisse vides et angoissés

(Source : http://www.letemps.ch/culture/mort-progres-laisse-vides-angoissesPar Sylvain Besson, jeudi 27 décembre 2018 (adapté et augmenté des notes)

Genève, Grand Hôtel Kempinski, 10 décembre 2018. Les lumières de la Rade et du Jet d’eau coloré de bleu se reflètent en tremblotant dans la noirceur du lac. Derrière les baies vitrées du restaurant panoramique, un banquier privé, un professeur d’université, une doctorante en partance pour Harvard et le dirigeant d’une grande fondation romande devisent sombrement sur l’état du monde en compagnie de l’auteur de ces lignes. Personne, ce soir-là, n’a le cœur de célébrer les 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme, prétexte à l’illumination en bleu du Jet d’eau. Ni l’opulence d’une civilisation parvenue à son faîte, que matérialisent bien les fastes du Kempinski. Même les actualités du moment, «gilets jaunes» ou affaire Maudet, ne suscitent qu’une attention distraite. A la place, la conversation s’attarde sur un sujet plus grave: l’humanité va-t-elle d’abord succomber aux conséquences du réchauffement climatique, ou sera-t-elle supplantée en premier par l’intelligence artificielle? La tonalité de ce dîner est révélatrice du pessimisme qui, en cette fin d’année 2018, s’est emparé de l’Occident. Un mot clé fait florès, jusque dans ces réservoirs de bonne humeur qu’étaient les magazines féminins: la «collapsologie». Soit le récit, censé être scientifique, de l’effondrement prochain de notre civilisation industrielle. La collapsologie postule que cet effondrement peut survenir très vite – encore de notre vivant. Son représentant le plus en vue, Pablo Servigne , le voit se produire autour de 2030 déjà.

L’âge des menaces

Le succès fulgurant des «collapsologues» repose sur la conscience, devenue aiguë, de la crise écologique globale. Réchauffement climatique accéléré, océans de plastique, disparition des insectes, l’actualité des derniers mois livre tous les signes avant-coureurs d’une apocalypse imminente. «Aujourd’hui, les menaces sont énormes, mais on n’arrive pas à imaginer ce qui arrive, parce que l’humanité ne l’a jamais vécu», prévient le philosophe français Dominique Bourg , professeur à l’Université de Lausanne, qui a préfacé le dernier livre de Pablo Servigne et de ses collègues. «Les gens n’ont absolument pas compris la portée du changement climatique. En cas de réchauffement global de 4°, des régions entières de la Terre vont devenir inhabitables. Il fera jusqu’à 55° dans l’est de la France. On ne va pas rigoler.» La menace de l’intelligence artificielle est plus théorique – on parle de robots tueurs ou de cerveau numérique qui reléguerait l’humain au rang de vieillerie – mais elle joue sur le même registre : le sentiment que le progrès technique menace notre survie. Ce double danger, écologique et technologique, attaque à la racine l’idée de progrès qui tient lieu de religion laïque à l’Occident depuis le XVIIIe siècle. Dans la conception des Lumières, le développement de la science et de la technique allait de pair avec le perfectionnement de l’homme et des sociétés. Cette belle machine idéologique s’est aujourd’hui grippée. Plus personne ou presque ne croit à un progrès linéaire, illimité, qui serait le sens même de l’histoire humaine. Ce n’est pas que l’innovation ait disparu, au contraire, mais sa signification positive s’est perdue. «On a du mal à comprendre ce qui se passe avec le Big Data, l’intelligence artificielle, l’ubérisation… On ne saisit pas ce que ces innovations impliquent», note le physicien français Etienne Klein , auteur de Sauvons le progrès (dialogue avec Denis Lafay, éditions de l’Aube, 2017). Dans le même temps, les scientifiques se sont en partie retournés contre l’idée de progrès, à coups de rapports alarmistes sur la dégradation de la planète. «Si la science elle-même prédit un futur qui n’est plus du tout attractif, l’idée de progrès ne peut plus s’ancrer», constate le physicien.

Humanité déboussolée

Dans le discours public, le recul du progrès a été incroyablement rapide. Avec le sociologue Gérald Bronner , Etienne Klein a utilisé un logiciel pour relever les occurrences du mot «progrès» dans les interventions publiques en France et en Europe. Résultat: alors qu’en 2007, tous les candidats à l’élection présidentielle française le citaient, plus aucun n’utilisait le terme en 2012. Cette idée-là a pratiquement disparu», constate le journaliste et essayiste Daniel Binswanger , des interventions publiques en France et en Europe. Résultat: alors qu’en 2007, tous les candidats à l’élection présidentielle française le citaient, plus aucun n’utilisait le terme en 2012. En quelques années, ce «mot structurant de la modernité depuis quatre siècles a disparu», observe Etienne Klein. Résultat: l’humanité, du moins sa partie occidentale pour qui le progrès était central, est désorientée. «Avec l’obscurcissement de l’idée de progrès, nous, Occidentaux, avons perdu notre boussole», estime l’auteur français Pierre-André Taguieff . «Pour la première fois dans l’histoire, nous n’avons absolument aucune idée de ce que sera le monde dans vingt ou trente ans», ajoutait l’auteur israélien Yuval Noah Harari dans une interview à France Inter le 12 décembre. «Personne n’est capable d’offrir une vision qui ait un sens pour le genre humain en 2050.» Les dystopies écologiques ou technologiques sont déjà anciennes. La nouveauté, c’est qu’elles s’ajoutent à un désenchantement radical envers le libéralisme. Deux décennies de stagnation salariale pour les classes moyennes et les plus modestes, couplée à l’explosion de la richesse des plus fortunés, ont détruit un pilier central de l’idée de progrès : la croyance selon laquelle le bienêtre augmenterait indéfiniment et pour tous. Désormais, on assiste à la «disparition de la conviction, très profondément ancrée dans les sociétés occidentales d’après-guerre, qu’elles iraient vers plus de progrès social, de prospérité, et surtout que ce serait au bénéfice de tous. Cette idée-là a pratiquement disparu», constate le journaliste et essayiste Daniel Binswanger, du site Republik. Selon un sondage Ifop paru le 9 décembre, «69% des Français pensent que leurs enfants vivront moins bien qu’aujourd’hui dans la société de demain». Et selon une enquête de la fondation Bertelsmann publiée en novembre, 67% des Européens estiment que le monde «était meilleur avant». Politiquement, cette perte de foi en l’avenir a des effets délétères. Elle nourrit la poussée des populismes, de Trump à Bolsonaro en passant par Salvini, Orban ou Poutine. «La disparition du progrès est une des donnes fondamentales qui expliquent la résurgence du populisme de droite», estime Daniel Binswanger. Pour Dominique Bourg, cet «effondrement moral» préfigure l’effondrement tout court: «Il n’y a plus de repères, plus rien, c’est effrayant. L’effondrement commence dans les têtes et on est bien parti.»

2008: le clou dans le cercueil

Avant de toucher le fond aujourd’hui, la foi dans le progrès a dégringolé progressivement, par étapes. Au sortir des Trente Glorieuses, les années 1970 ont vu résonner deux grands cris d’alarme : le rapport du Club de Rome (1972) sur les limites de la croissance, et les travaux de l’économiste Richard Easterlin (1974) montrant que l’augmentation du PIB n’aurait plus qu’un effet marginal sur le bien-être des gens. La gauche «progressiste» a ensuite subi un déclin continu, de la mort du bloc soviétique en 1990 jusqu’à l’agonie des grands partis socialistes européens aujourd’hui. Quant à la fascination pour l’an 2000 – sans doute le dernier grand moment de foi dans le progrès –, elle a volé en éclats lorsque le retour du fanatisme religieux a fait exploser les tours jumelles de New York le 11 septembre 2001. La crise financière de 2008 apparaît comme l’ultime clou dans le cercueil du progrès. «Nous assistons maintenant à l’effondrement du dernier des grands récits que nous avions construits au XXe siècle, celui du libéralisme», résumait Yuval Noah Harari sur France Inter. Ne reste plus qu’une «ère du vide où personne n’a de vision pour l’avenir». Bien sûr, des progrès ponctuels et concrets restent possibles. Dans son dernier livre, Le triomphe des Lumières (Ed. Les Arènes, 2018), le penseur canadien Steven Pinker compile des statistiques montrant que l’humanité ne s’est jamais aussi bien portée en termes de santé, longévité, prospérité, violence, éducation… Mais ces avancées restent sans effet sur le moral des populations occidentales. Car elles sont orphelines du progrès comme horizon historique, portant la promesse d’un avenir radieux.

Penser le futur, malgré tout

Le désir d’avenir s’est étiolé. Qui veut se projeter dans un futur qui sera peut-être bien pire que le présent? Certains s’y essaient cependant. Avec un premier impératif, celui de la survie. Au printemps 2019, Dominique Bourg se présentera aux élections européennes sur une liste Génération Ecologie avec l’ancienne ministre française Delphine Batho. Leur programme : construire une société capable de résister au choc du changement climatique. «Il faut se préparer car ça va se casser la gueule, assène le professeur franco-suisse. On va être capable de produire de moins en moins de nourriture.» Ce survivalisme collectif n’est pas encore la vision «belle et chargée de sens» que les collapsologues appellent de leurs vœux pour la société post-effondrement. D’autres intellectuels évoquent, comme utopie de substitution, la réduction de la souffrance humaine et animale en lieu et place du progrès à tous crins. Ou une humanité plus frugale et plus simple, «désintoxiquée de la croissance», selon le mot du professeur genevois Gilbert Rist. Ou encore un retour aux ambitions originelles des Lumières, qui rêvaient d’un homme plus moral et d’une société plus fraternelle. «Ce que je retiens de l’idée de progrès, c’est que le futur doit demeurer un objet de pensée collective », conclut Etienne Klein. « On doit aux jeunes d’aujourd’hui une configuration du futur qui soit crédible et à long terme, au-delà de 2020. Il faut refuser le catastrophisme qui fait penser qu’on n’a plus de prise sur l’histoire. On a encore une certaine prise, même si le réchauffement climatique va arriver. Oui, ça va secouer, mais ça a toujours secoué dans l’histoire. Il va falloir renégocier des valeurs, des façons de vivre, et c’est très intéressant.» Indécrottablement optimistes, certains imaginent encore des lendemains qui chantent. «Avant ou après l’effondrement, le printemps refleurira», proclame l’écologiste vaudoise Anne-Catherine Menétrey dans une récente tribune du Courrier. Mais en contemplant la nuit, depuis la terrasse du Kempinski, que cela paraît encore loin…

Brève histoire du progrès

La notion moderne de progrès est à l’origine issue de la Bible. L’histoire humaine a un commencement et une fin, qui sera une apothéose heureuse, la Jérusalem céleste, où l’homme deviendra bon. Cette idée va se laïciser progressivement dès le Moyen Age avec le moine Roger Bacon, puis à la Renaissance et au XVIIe siècle chez des penseurs comme l’Anglais Francis Bacon, l’Allemand Leibnitz ou le Français Descartes. Elle se cristallise à l’âge des Lumières avec Condorcet et son Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (1793). Son postulat central : le progrès de la science et celui de la liberté vont de pair. La science fait inévitablement avancer l’humanité sur la voie du bonheur. Cette définition engendre le credo républicain et positiviste du XIXe siècle: la science perfectionne les techniques, ce qui grâce à l’industrie conduit à une amélioration de la condition humaine.

Marche vers le bonheur

Le progrès devient alors une religion laïque, la promesse d’un au-delà, l’avenir, qui sera meilleur et plus juste. Jules Michelet aura à ce sujet des formules lyriques: «Nous, croyants de l’avenir, qui mettons la foi dans l’espoir»… Dans les années 1860, le dictionnaire Larousse définit le progrès comme «la marche du genre humain vers sa perfection, vers son bonheur», note Pierre-André Taguieff dans son livre La religion du progrès (eBook, Tak.fr, septembre 2012). Adoptée par le marxisme, cette idée deviendra le «progressisme» de gauche. Au fil du temps, pourtant, les doutes envers cette religion du progrès se sont renforcés. Au XIXe siècle, le Français Eugène Huzar voit l’humanité évoluer en cycles, avec des civilisations qui s’élèvent puis disparaissent, emportées par leurs erreurs. Schopenhauer dénonce dans le progrès «votre chimère, il est le rêve du XIXe siècle comme la résurrection des morts était celui du Xe». Baudelaire ou Nietzsche partagent ces critiques.

Douche froide écologique

La Première Guerre mondiale, Auschwitz puis Hiroshima vont nourrir un scepticisme encore plus profond envers les vertus du progrès. Mais dans la foulée, cette notion connaît son apogée concret durant les Trente Glorieuses. En quelques décennies, la société de consommation à l’américaine apporte confort, bien-être et longévité à la grande majorité des populations occidentales. Il faudra la «douche froide écologique» des années 1970 pour mettre fin à l’euphorie. «Le progrès a été une illusion, très belle, qui a marché un certain temps», résume le philosophe français Dominique Bourg. De nos jours, constate Pierre-André Taguieff, le progrès n’est qu’une idée morte, dont beaucoup se réclament encore par nostalgie ou automatisme. Il survit pourtant dans l’esprit du grand public sous la forme du consumérisme publicitaire qui continue de promettre, envers et contre tout, plus de biens matériels (ou meilleurs, ou moins chers…). «Le consumérisme, estime Pierre-André Taguieff, est le conservatoire du progressisme.» Un dernier bastion qui, pour l’instant, a résisté à tous les assauts.

VILLAGE-MONDE

Pablo Servigne, né en 1978 à Versailles, est un chercheur français indépendant et transdisciplinaire. Il est ingénieur agronome (Gembloux, Belgique) et Docteur en sciences (Université libre de Bruxelles). En 2008, il quitte le monde universitaire pour se consacrer au mouvement de la transition écologique et s’intéresse à l’agriculture urbaine, la permaculture et l’agroécologie. Entre 2010 et 2014, Pablo Servigne travaille à l’association d’éducation populaire « Barricade » à Liège. Depuis 2010, il écrit pour deux journaux belges Imagine demain le monde (écologie) et Kairos (antiproductivisme). Il a participé aux réflexions du GIRAF (Groupe Interdisciplinaire de Recherche en Agroécologie du Fonds de la recherche scientifique). Depuis 2013, il est membre de l’Institut Momentum (Paris) et depuis 2015, de l’Association Adrastia. Aujourd’hui indépendant, il écrit des articles et des livres et donne des conférences et des formations.

Dominique Bourg, né le 11 août 1953 à Tavaux, est un philosophe français, professeur ordinaire à l’université de Lausanne. Il a un doctorat de l’université Strasbourg II (1981) et un doctorat de l’EHESS (1995). Il présente une habilitation universitaire en philosophie (université Lyon 3, 1998). Il a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’université de technologie de Troyes. Depuis 2006, il est professeur ordinaire à la faculté des géosciences et de l’environnement de l’université de Lausanne. Il a été directeur de l’Institut de politiques territoriales et d’environnement humain de la même université (2006-2009). Depuis septembre 2012, il donne également un cours sur les questions environnementales actuelles à l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Ses domaines de recherche concernent notamment l’éthique du développement durable. Il réside à Pully, en Suisse. Vice-président de la Fondation Nicolas-Hulot, il a fait partie de la commission Coppens, qui a préparé la charte française de l’environnement. Il dirige avec Alain Papaux, la collection « Développement durable et innovation institutionnelle » (Puf) et le Dictionnaire de la pensée écologique (2015) et, avec Philippe Roch, la collection « Fondations écologiques » chez Labor et Fides. Il est aussi directeur de la rédaction de la revue La pensée écologique (Puf), membre du comité de rédaction de la revue Esprit, membre du Conseil scientifique de la revue Écologie & Politique et conseiller scientifique de Futuribles International.

Étienne Klein, né à Paris le 1er avril 1958, est un physicien et un philosophe des sciences français. Il dirige le Laboratoire de recherche sur les sciences de la matière tout en menant une intense carrière de vulgarisation autour des questions soulevées par la physique contemporaine, notamment par la physique quantique et la physique des particules. Né le 1er avril 1958 à Paris, Étienne Klein poursuit ses études au lycée Louis-le-Grand puis à l’École centrale Paris dont il obtient le diplôme d’ingénieur en 1981. Il obtient un DEA en physique théorique de l’Université Paris-Sud en 1982, un doctorat en philosophie des sciences de l’Université Paris-Diderot en 1999 et l’habilitation à diriger des recherches (HDR) en 2006. Il fait, en 1981, un stage d’été au CERN. C’est à cette occasion que naît son goût pour la physique, son histoire et ses prolongements philosophiques. Il entre au commissariat à l’Énergie atomique en 1983. Il participe à plusieurs grands projets, notamment à la mise au point de la séparation isotopique par laser et à la conception d’un accélérateur à cavités supraconductrices pour électrons. Détaché au CERN pendant deux ans, entre 1992 et 1994, il participe comme ingénieur à la conception du grand collisionneur de particules européen, le Grand collisionneur de hadrons (Large Hadron Collider, LHC). Dans le même temps, il enseigne la physique quantique et la physique des particules puis la philosophie des sciences à l’École centrale de Paris. Pendant cette période, il publie également des chroniques mensuelles dans le magazine La Recherche.

Gérald Bronner, né le 22 mai 1969 à Nancy, est un sociologue français, professeur de sociologie à l’université ParisDiderot. Il est membre de l’Académie nationale de médecine, de l’Académie des technologies et de l’Institut universitaire de France. Il est également romancier. Les travaux de Gérald Bronner portent sur les croyances collectives et plus généralement les phénomènes de cognitions sociales. Selon lui, la sociologie cognitive s’intéresse aux situations où il existe une hybridation entre les invariants cognitifs, les pentes naturelles de la pensée individuelle et les variables sociales, notamment le contexte culturel. Il a, par exemple, comparé la résistance au darwinisme dans la culture américaine et dans la culture française (cf. la Revue française de sociologie, 3, 200716). L’objectif de cette recherche était de débusquer les obstacles intellectuels à la réception du darwinisme en même temps que la façon dont ces obstacles se déclinaient dans deux contextes sociaux bien différents. Ses enquêtes ont porté sur des sujets aussi divers que les mécanismes d’entrée dans une secte, la disparition de la croyance au père Noël chez les plus jeunes, la perception du risque, la pensée extrême et la radicalisation dans le domaine religieux ou politique. Il cherche à contribuer à la formalisation de la statique et de la dynamique des représentations et des croyances sur la base d’expérimentations. Quels sont les processus qui conduisent des individus à endosser des croyances qu’elles soient spectaculaires ou non, quels sont ceux qui conduisent à les abandonner ? Il a encore, sur la question des croyances collectives, proposé de cerner les enjeux contemporains du croire en examinant notamment les mécanismes spécifiques du marché de l’information sur Internet ou les rapports qu’entretiennent des énoncés légitimés par la science et ceux qui ne le sont pas. D’une façon générale, il étudie les déterminants du succès d’une croyance dans l’espace social. Il a notamment étudié dans l’un de ses derniers livres (L’inquiétant principe de précaution, Paris, PUF), les raisons du succès de ce qu’il nomme, avec son coauteur E. Géhin, le « précautionnisme », c’est-à-dire la volonté d’appliquer inconditionnellement, et souvent avec un soubassement idéologique, le principe de précaution. Dans son livre La planète des hommes – Réenchanter le risque, il analyse les courants de pensée dans l’espace public en partant du principe responsabilité et montre que fonder son raisonnement sur ce type de principe peut dépasser le raisonnable et devenir dangereux. Il a également produit des travaux d’épistémologie des sciences sociales portant, d’une part, sur l’utilisation de la notion de rationalité et, d’autre part, sur les rapports que les sciences sociales entretiennent (ou n’entretiennent pas) avec les sciences cognitives et les neurosciences. Formation en littérature comparée et en philosophie, à Paris et Berlin.

P-A. Taguieff est l’auteur de nombreux ouvrages touchant à la fois aux domaines de la théorie politique, de l’histoire des idées, de la philosophie politique et de la théorie de l’argumentation. Ces ouvrages traitent notamment du racisme, de l’antisémitisme et des idéologies d’extrême droite. Il s’est fait connaître d’abord par ses travaux sur le racisme et l’antiracisme (La Force du préjugé, Essai sur le racisme et ses doubles), puis par des articles et ouvrages sur les Protocoles des Sages de Sion (faux document à visée antisémite), le populisme, la Nouvelle Droite et le Front national. Son parcours politique va de « l’anarcho-situationnisme au chevènementisme patriote de la Fondation du 2-Mars », puis, plus récemment, par une prise de distance vis-à-vis de toutes les affiliations partisanes à partir du moment où elles sont envisagées selon un angle binaire gauche/droite. Se réclamant un temps des idées de la gauche républicaine, dans les années 1980 et 1990, il a été décrit également comme un « libéral social conservateur », et comme un « néoconservateur ». Ses travaux (notamment sur la Nouvelle Droite et la « nouvelle judéophobie ») ont fait l’objet de controverses intellectuelles et médiatiques. P-A. Taguieff se présente lui-même comme engagé dans la lutte « contre tous les racismes ».

Yuval Noah Harari, né le 24 février 1976 à Kiryat Ata, est un historien et professeur d’histoire israélien, auteur du best-seller international Sapiens : Une brève histoire de l’humanité et de sa suite Homo Deus : Une brève histoire de l’avenir. Il enseigne au département d’histoire de l’université hébraïque de Jérusalem. Yuval Harari est né à Kiryat Ata en Israël. Il se spécialise en histoire médiévale et militaire et obtient son doctorat au Jesus College de l’université d’Oxford en 2002. Il devient enseignant de World History à l’université hébraïque de Jérusalem en 2005. Harari pratique la méditation Vipassana deux heures par jour et fait souvent de longues retraites. Il se dit végétalien, et le sort des animaux, en particulier des animaux d’élevage, est traité à plusieurs reprises dans ses ouvrages. Ses conférences en hébreu sur l’histoire du monde ont été visionnées par des dizaines de milliers d’internautes en Israël. Yuval Harari a proposé également en 2014 une série de cours en ligne gratuits en anglais (MOOC) intitulée « A Brief History of Humankind ». Plus de 100 000 personnes y étaient inscrites. Harari a pu se faire connaître dans le monde entier par le biais de ses Ted talks. Ses travaux ont suscité l’intérêt des universitaires aussi bien que celui du grand public et ont rapidement fait d’Harari une célébrité, sa recommandation par Mark Zuckerberg dans son club de lecture y ayant contribué, tout comme Barack Obama qui a « adoré cette histoire de l’humanité vue du ciel » et Bill Gates qui a chaudement recommandé ce livre « vivifiant ». En 2018, il publie 21 leçons pour le XXIe siècle, trad. de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, éd. Albin Michel, octobre 2018

Richard Easterlin, né à Ridgefield Park, New Jersey, en 1926, est un économiste américain. Il est professeur d’économie (chaire William R. Kenan Jr.) à l’université de Pennsylvanie de 1978 à 19821 avant de poursuivre sa carrière comme professeur à l’université de Californie du Sud. Il est président de la Population Association of America (PAA) en 1978, et président de l’Economic History Association de 1979 à 1980. Théoricien de l’économie du bien-être, il est le créateur du paradoxe qui porte son nom, selon lequel la mesure du développement de l’économie d’une société par le biais de l’évolution du produit intérieur brut (PIB) n’est pas pertinente. Plus précisément, Richard Easterlin a mis en évidence le fait qu’une fois qu’une société a atteint un certain seuil de richesse, la poursuite de son développement économique est sans influence sur l’évolution du bien-être moyen de sa population. Ou du moins, l’effet n’a cours que sur une partie seulement de cette dernière. L’évolution de ce bonheur est en réalité, selon Easterlin, à mettre en corrélation relative avec celle de la richesse des membres les plus fortunés de la société. En clair, ce sont ces derniers qui sont les plus heureux, mais uniquement parce que l’augmentation de l’inégalité leur permet de progresser économiquement plus vite que le reste de la population ; cela signifie donc qu’un membre d’une société dont l’évolution de la fortune se situe dans la moyenne ne se déclarera pas plus heureux, à l’inverse des éléments qui progressent plus rapidement. C’est donc, plus prosaïquement, le revenu relatif, et non sa progression brute, qu’il convient de prendre en compte. Cette relativité de l’évolution (pourtant existante) du sentiment de bien-être, comparativement à la croissance économique, aboutit donc à un paradoxe. L’indicateur du bonheur intérieur net (BIN), institué par le magazine économique français L’Expansion et un think tank canadien, se veut la traduction statistique des travaux de Richard Easterlin 9 Steven Pinker, né le 18 septembre 1954 à Montréal au Canada, est un psychologue cognitiviste. Steven Arthur Pinker est né dans une famille anglophone de Montréal. Après des études au Canada, Steven Pinker a effectué un doctorat en psychologie expérimentale à Harvard. Il fut professeur au département de sciences cognitives et cerveau au Massachusetts Institute of Technology pendant vingt-et-un ans avant son retour à Harvard en 2003. Steven Pinker est connu pour son plaidoyer en faveur de la psychologie évolutionniste et la théorie computationnelle de l’esprit. Dans ses livres populaires, il a fait valoir que la langue est un « instinct » ou l’adaptation biologique façonnée par la sélection naturelle. Il est reconnu pour son travail sur le processus d’apprentissage du langage chez les enfants qui l’a conduit à donner une base biologique au concept de grammaire générative universelle du linguiste Noam Chomsky. Il est surtout célèbre pour ses livres de synthèse qui s’adressent à la fois aux scientifiques et au grand public. Son livre Comprendre la nature humaine (Éditions Odile Jacob, 2005) dans lequel il traite « du déni moderne de la nature humaine » a été finaliste pour le Prix Pulitzer. La part d’ange en nous (Les Arènes, 2017) a également connu un grand succès outre-Atlantique. En 2004, il a été désigné comme l’une des cent personnes les plus influentes par le magazine Time.

Gilbert Rist est professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement (Graduate Institute of International and Development Studies) à Genève. Il est connu pour son livre sur le concept et la pratique du développement, intitulé Le Développement : Histoire d’une croyance occidentale (Presses de Sciences Po, coll. « Références », Paris, 1996, 4e éd. revue et augmentée, 2013.

Pascal Keller, Pasteur alsacien, (source : http://www.publicroire.com/croire-et vivre/question/article/l-homme-est-ilnaturellement-bon) écrit : Je suis né en 1960 et j’ai l’impression que ce que l’on a appris à ma génération est que l’homme est naturellement bon et que tous les problèmes viennent de l’organisation de la société. Puis, notre génération a redécouvert les horreurs que les humains étaient capables d’infliger à leurs semblables (Seconde Guerre mondiale, Guerre froide, conflits dits périphériques…). Aujourd’hui, la vision optimiste de l’homme naturellement bon a perdu beaucoup de terrain. Qu’en dit la Bible? Elle souligne deux aspects qui font de l’être humain une personne en tension intérieure. D’abord, Dieu a créé l’homme bon. Le livre de la Genèse (Chapitres 1 et 2) souligne avec persistance que la création entière de Dieu était bonne, sans aucune présence du mal. Mais ensuite les choses se gâtent, et c’est là le deuxième aspect fondamental de l’enseignement biblique: l’humain a rompu avec Dieu en refusant de lui faire confiance et d’écouter sa parole (Chapitre 3). Déconnecté de Dieu, il se trouve privé de la source de vie et des repères d’existence dont il a besoin, et se trouve en même temps sous l’influence d’une force qui le pousse vers le mal et qu’il n’arrive pas à dominer. Ainsi, l’humain est comme divisé en lui-même. Attiré par le bien et capable à certains moments d’actes de dévouement et de désintéressement magnifiques, il est en même temps poussé à faire le mal, incapable de sortir durablement de l’égocentrisme qui le caractérise et de vivre des relations sociales harmonieuses. L’apôtre Paul, dans sa lettre aux chrétiens de Rome décrit ainsi cette division intérieure: «Il est à ma portée de vouloir, mais non de pratiquer le bien. Je ne fais pas le bien que je veux, mais je pratique le mal que je ne veux pas… Pour ce qui est de l’homme que je suis intérieurement, je prends plaisir à la loi de Dieu; mais je vois dans mon corps tout entier une autre loi qui lutte contre la loi de mon intelligence et qui me rend captif – captif de la loi du péché qui est dans tout mon corps» (Romains 7.18-19, 22-23). Paul souligne plus loin que Dieu ne nous abandonne pas à cette condition misérable. Tout le Nouveau Testament témoigne que Jésus-Christ est venu pour nous libérer de cette captivité. Son Saint-Esprit agit dans ce sens encore aujourd’hui. L’enseignement biblique est à la fois réaliste sur la présence du mal dans le monde et rempli d’espoir : Jésus se propose d’ouvrir la porte de notre prison…

Roger Bacon (1214-1294), surnommé Doctor mirabilis (« Docteur admirable ») en raison de sa science prodigieuse, philosophe, savant et alchimiste anglais, est considéré comme l’un des pères de la méthode scientifique grâce à sa reprise des travaux d’Alhazen. Pour Bacon, « aucun discours ne peut donner la certitude, tout repose sur l’expérience », expérience scientifique ou religieuse. Il est le premier dans le monde occidental à mettre en question des enseignements d’Aristote, observations à l’appui.

Francis Bacon, né le 22 janvier 1561 à Londres et mort à Highgate près de la même ville en 1626, baron de Verulam, vicomte de St Albans, Chancelier d’Angleterre, est un scientifique et philosophe anglais. Francis Bacon développe dans son œuvre, le De dignitate et augmentis scientiarumn, une théorie empiriste de la connaissance, et il précise les règles de la méthode expérimentale dans le Novum Organum, ce qui fait de lui l’un des pionniers de la pensée scientifique moderne.

Gottfried Wilhelm Leibniz, né à Leipzig le 1er juillet 1646 et mort à Hanovre le 14 novembre 1716, est un philosophe, scientifique, mathématicien, logicien, diplomate, juriste, bibliothécaire et philologue allemand. Esprit polymathe, il occupe une place primordiale dans l’histoire de la philosophie et l’histoire des sciences (notamment des mathématiques). En philosophie, Leibniz est, avec René Descartes et Baruch Spinoza, l’un des principaux représentants du rationalisme. Au principe de non-contradiction, il ajoute trois autres principes à la base de ses réflexions : le principe de raison suffisante, le principe d’identité des indiscernables et le principe de continuité. Concevant les pensées comme des combinaisons de concepts de base, il théorise la caractéristique universelle, une langue hypothétique qui permettrait d’exprimer la totalité des pensées humaines, et qui pourrait résoudre des problèmes par le calcul grâce au calculus ratiocinator, anticipant l’informatique de plus de trois siècles. En métaphysique, il invente le concept de monade. Enfin, en théologie, il établit deux preuves de l’existence de Dieu, appelées preuves ontologique et cosmologique. Au contraire de Spinoza, qui pensait Dieu immanent, Leibniz le conçoit transcendant, à la manière traditionnelle des religions monothéistes. Pour concilier l’omniscience, l’omnipotence et la bienveillance de Dieu avec l’existence du mal, il invente, dans le cadre de la théodicée, terme qu’on lui doit, le concept de « meilleur des mondes possibles », qui sera raillé par Voltaire dans le conte philosophique Candide. Il aura une influence majeure sur la logique moderne développée à partir du XIXe siècle ainsi que sur la philosophie analytique au XXe siècle. En mathématiques, la contribution principale de Leibniz est l’invention du calcul infinitésimal (calcul différentiel et calcul intégral). Si la paternité de cette découverte a longtemps fait l’objet d’une controverse l’opposant à Isaac Newton, les historiens des mathématiques s’accordent aujourd’hui pour dire que les deux mathématiciens l’ont développé plus ou moins indépendamment. Il travaille également sur le système binaire comme remplaçant du système décimal, s’inspirant de vieux travaux chinois. Par ailleurs, il introduit la notation qui porte son nom et travaille également sur la topologie.

Guillaume Eugène Huzar, né le 2 février 1820 à Paris et mort le 2 mai 1890 dans le 17e arrondissement de Paris, est un avocat et essayiste scientifique français. Il est l’auteur des essais La Fin du monde par la science (1855) et de L’Arbre de la science (1857). Dans L’Arbre de la science, Eugène Huzar écrit notamment que : « …dans cent ou deux cents ans le monde, étant sillonné de chemins de fer, de bateaux à vapeur, étant couvert d’usines, de fabriques, dégagera des billions de mètres cubes d’acide carbonique et d’oxyde de carbone, et comme les forêts auront été détruites, ces centaines de billions d’acide carbonique et d’oxyde de carbone pourront bien troubler un peu l’harmonie du monde ». Eugène Huzar est contre un progrès aveugle et préconise une science étudiant les équilibres planétaires ainsi qu’un gouvernement scientifique mondial.

Arthur Schopenhauer, philosophe allemand, né le 22 février 1788 à Dantzig, mort le 21 septembre 1860 à Francfortsur-le-Main. La philosophie de Schopenhauer a eu une influence importante sur de nombreux écrivains, philosophes ou artistes du XIXe siècle et du XXe siècle, notamment à travers son œuvre principale publiée pour la première fois en 1819, Le monde comme volonté et comme représentation.

La société de l’incertitude

Edgar Morin : « Il ne s’agit pas d’opposer un holisme global en creux au réductionnisme systématique ; il s’agit de rattacher le concret des parties à la totalité. Il faut articuler les principes d’ordre et de désordre, de séparation et de jonction, d’autonomie et de dépendance, qui sont en dialogique (complémentaires, concurrents et antagonistes) au sein de l’univers. En somme, la pensée complexe n’est pas le contraire de la pensée simplifiante, elle intègre celle-ci ; comme dirait Hegel, elle opère l’union de la simplicité et de la complexité, et même, dans le métasystème qu’elle constitue, elle fait apparaître sa propre simplicité. Le paradigme de complexité peut être énoncé non moins simplement que celui de simplification : ce dernier impose de disjoindre et de réduire ; le paradigme de complexité enjoint de relier tout en distinguant. »

Philographique – Des dessins géométriques simples pour de grandes théories

HOLISME

Cet ouvrage est pensé comme un dictionnaire visuel de la philosophie, qui présente les mots en « isme » les plus importants du monde en utilisant des formes simples et de la couleur. Cet ouvrage mêle habilement deux mondes : celui de la philosophie et celui du design. 

 

La société de l’incertitude : géopolitique et biopolitique du Monde à l’ère complexe. Exposé donné par Magali Reghezza dans le cadre de la Chaire Géopolitique du Risque, organisée par le département de Géographie de l’ENS.

Agrégée de géographie, docteur en géographie et aménagement, Magali Reghezza est maître de conférences et directrice des études au département géographie de l’École normale supérieure.

Quelle sorte de chose est la Terre ? 

« Quel sens donnons-nous à ce terme quand nous en usons pour opposer la terre au ciel, pour la faire tourner autour du soleil, pour dire que nous l’avons parcourue et que sa rotondité nous fait revenir sur nos pas, que nous l’habitons dans toute sa surface et toujours en compagnie d’autres êtres vivants, que ses paysages nous enchantent et que sa sauvagerie nous fascine et encore bien d’autres choses auxquelles nous ne pensons pas le plus souvent ? »

Arnaud Berthoud

https://journals.openedition.org/developpementdurable/5693

Impression

 

« Je jette, donc je suis. »

« À travers cette tendance souvent observée à ne pas vouloir s’y confronter, il y a donc le déchet et dans les relations que nous tissons avec eux matière à penser notre façon d’être-au-monde : à la fois notre façon d’envisager le vivre-ensemble que notre façon d’habiter la Terre. Dis-moi ce que tu jettes, dis-moi comment tu jettes et alors je te dirai qui tu es, comment tu vis et de quoi est composé ton monde. »

HOMO DETRITUS, par Baptiste Monsaingeon

Conférence de Baptiste Monsaingeon : « Homo Detritus et l’idéal trompeur d’un monde sans restes », auteur du livre Homo détritus Homo detritus (Le Seuil, avril 2017)

Joseph Confavreux : « Les sociétés industrielles ont créé un Homo detritus, successeur de Sapiens et face cachée de l’Homo economicus, explique Baptiste Monsaingeon dans son livre Homo detritus (Le Seuil, avril 2017). Celui-ci pourrait bien être devenu un « jeteur idéal », capable de consommer tout en « bien jetant » pour « sauver la planète ». Ce geste éco-citoyen en dit autant de la réalité de nos modes de vie que de nos représentations de la salubrité, de la réparation, d’une forme de rédemption. […] Selon Baptiste Monsaingeon, il faudrait plutôt interroger cette promesse de « réparer le monde » comme seul horizon d’action. C’est cette quête de pureté qu’il met en cause en observant la relation ambiguë de l’Homo economicus à la nature, qui risque de se vivre sous le mode du « Tout doit disparaître », que met en œuvre l’économie circulaire du recyclage industriel. Or est-il seulement possible de faire monde sans faire de restes ? » 

Qu’est-ce qu’un espace public ?

« Qu’est-ce qu’un espace public ? Un espace public, c’est précisément un espace dans lequel nous sommes chacun confrontés à des choses qui n’ont pas été prévues pour nous, à des choses dont nous devons discutés collectivement, et qui sont irréductibles à la seule concurrence des petits intérêts individuels…

Ce à quoi on assiste donc, c’est à une hyper-privatisation, avec un assèchement assez dramatique de l’espace public… On le voit par exemple, dans les utilisations contemporaines des big data et des algorithmes dans le cadre des campagnes électorales de cette privatisation, où finalement la campagne électorale en vient à consister uniquement à prendre le pouls de la population — mais non pas en tant que population — mais en tant que juxtaposition d’individus séparés ayant des intérêts séparés qui ne sont plus transcendés par aucun programme collectif…

Et donc, l’enjeu de ces bulles filtres et de cette ‘gouvernementalité algorithmique’, c’est un enjeu politique. L’enjeu est celui de la disparition de l’espace public par gavage, par anticipation des pulsions et des désirs des individus.

Un individu qui est gavé n’a plus de désir. Il n’a plus rien à demander à son voisin et encore moins à la collectivité, et encore moins à la politique. »

Antoinette Rouvroy

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