L’Île d’Art

Du principe de l’Art,

ou de la défense de la dignité humaine.

Au théâtre, et dans L’Île d’Or, tentez-vous de restaurer des valeurs foulées aux pieds dans la société ?

Je ne crois pas que le théâtre soit là pour « rétablir » des valeurs.

Le mot valeur vous paraît donc surfait ?

Il n’est pas surfait, il est galvaudé. Nous devons nous réapproprier ces mots si mal utilisés. Mais je suis de celles et ceux qui pensent qu’il suffit parfois d’un travail bien fait pour rappeler de nombreuses valeurs : l’amour du beau geste, l’honnêteté, la générosité, le respect et le souci de l’autre. Quand le travail sur scène est bien fait, alors les valeurs se déploient d’elles-mêmes sans avoir à s’afficher. Le théâtre, lui, est au-dessus. Le seul mot qui lui soit essentiel, c’est l’art. Si le théâtre n’est pas d’art, alors il ne peut rien défendre du tout.

Propos recueillis par Joëlle Gayot pour Télérama (Publié le 01/11/2021)

Affiche de l’Île d’Or

Le piège

« L’histoire de l’humanité devient de plus en plus une course entre l’éducation et la catastrophe. »

Herbert George Wells

La machine à explorer le temps (2010) – Technique mixte sur feuille Imagine 350g – 70x100cm

« Je m’attristai à mesurer en pensée la brièveté du rêve de l’intelligence humaine. Elle s’était suicidée ; elle s’était fermement mise en route vers le confort et le bien-être, vers une société équilibrée, avec sécurité et stabilité comme mots d’ordre ; elle avait atteint son but, pour en arriver finalement à cela. Un jour, la vie et la propriété avait dû atteindre une sûreté presque absolue. Le riche avait été assuré de son opulence et de son bien-être ; le travailleur, de sa vie et de son travail. Sans doute, dans ce monde parfait, il n’y avait eu aucun problème inutile, aucune question qui n’eût été résolue. Et une grande quiétude s’était ensuivie.

« C’est une loi naturelle trop négligée : la versatilité intellectuelle est le revers de la disparition du danger et de l’inquiétude. Un animal en harmonie parfaite avec son milieu est un pur mécanisme. La nature ne fait jamais appel à l’intelligence que si l’habitude et l’instinct sont insuffisants. Il n’y a pas d’intelligence là où il n’y a ni changement, ni besoin de changement. Seuls ont part à l’intelligence les animaux qui ont à affronter une grande variété de besoins et de dangers. »

La machine à explorer le temps de Herbert George Wells

Le souvenir et l’image

Sous l’histoire, la mémoire et l’oubli.

Sous la mémoire et l’oubli, la vie.

Mais écrire la vie est une autre histoire.

Inachèvement.

Paul Ricœur

Le violoncelle bleu (2021) – Huile sur feuille Imagine 350g – 100x70cm

On lit ceci dans la proposition 18 du Livre II de l’Éthique, « De la nature et de l’origine de l’âme » : « Si le corps humain a été affecté une fois par deux ou plusieurs corps simultanément, sitôt que l’Âme imaginera plus tard l’un des deux, il lui souviendra aussi des autres. » C’est sous le signe de l’association des idées qu’est placée cette sorte de court-circuit entre mémoire et imagination : si ces deux affections sont liées par contiguïté, évoquer l’une – donc imaginer –, c’est évoquer l’autre, donc s’en souvenir. La mémoire, réduite au rappel opère ainsi dans le sillage de l’imagination. (Éthique de Baruch Spinoza, tradAppuhn)

Paul Ricœur

Rostropovitch jouant une sonate de Bach au pied du Mur de Berlin.

« Je suis venu jouer ici pour que l’on se souvienne de tous ceux qui sont morts à cause de ce Mur ». Le 11 novembre 1989, le virtuose russe en exil Mstislav Rostropovitch saute dans un vol Paris-Berlin. Le vieil homme, son violoncelle à la main, se fraie un chemin au milieu de la foule exaltée rassemblée au Checkpoint Charlie, mythique point de passage entre l’est et l’ouest. Image qui a marqué les esprits et fait le tour du monde.

Et si on accélérait ?

« Quand on n’a pas de tête il faut avoir des jambes. »

Proverbe français

Cavalier chinois à l’autruche (2020) – Technique mixte sur papier – 60x40cm

Dans une société dominée par les autruches, la croyance selon laquelle il est normal de porter en permanence des œillères au mépris de la réalité physique du monde et au profit d’une « nation qui progresse » façonne l’identité d’un peuple entier. Lorsque le bien-fondé de cette croyance est remis en cause par un scientifique, le Docteur Kays, ce sont l’ensemble des structures du pays qui vacillent : le mythe commun fondateur, celui-là même sur lequel s’appuyait la coopération et la bonne entente de milliers d’individus, se délite. Car, à ne s’y pas tromper, cet aveuglement collectif semble apporter paix et prospérité…

Par Mr Mondialisation, think tank citoyen francophone.

La politique de l’autruche, court métrage d’animation – Réalisateur : Mohammad HouHou

Dans le secret de la création

« Le savoir, c’est ce qu’on vous apprend. La connaissance, c’est ce que vous apprenez par vous-même. »

Marguerite Duras

Le peintre et son modèle (2020) – Technique mixte sur papier – 60x40cm

Le peintre est bien là en haut à gauche ; on ne voit que le haut de son corps nu jusqu’au nombril, son bras droit replié sur sa poitrine. Il tient dans sa main gauche un couteau avec lequel il peint sur une petite toile, juste devant lui. Mais le modèle, où est le modèle ? Est-il là ? Est-il réel ou bien absent ? Est-il dans la toile ou n’avons-nous ici que de la peinture ? Un Abîme sans fin ?

Le non-agir

« Tout changement est un changement du sujet dont on parle. »

César Aira

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La voie de la vie (2006) – Technique mixte sur papier – 65x50cm

Tous les malheurs de l’humanité proviennent, selon Laozi, non pas de ce que les hommes ont négligé de faire ce qui était nécessaire, mais de ce qu’ils font ce qui ne l’est pas ; de sorte que si les hommes pratiquaient comme il le dit le non-agir, ils seraient non seulement débarassés de leurs calamités personnelles, mais encore de celles inhérentes à toute forme de gouvernement, ce dont se préoccupe tout particulièrement le philosophe chinois. L’idée de Laozi paraît bizarre, mais il est impossible de ne pas être de son opinion quand on considère les résultats auxquels aboutissent les occupations de la grande majorité des hommes de notre temps. […]

Il suffit à l’homme actuel de s’arrêter un instant dans son activité et de réfléchir, de comparer les exigences de sa raison et de son cœur avec les conditions de la vie telle qu’elle est pour qu’il s’aperçoive que toute sa vie, toutes ses actions sont en contradiction incessante et criante avec sa conscience, sa raison et son cœur. […]

De sorte que pour la grande majorité d’hommes de notre monde, l’organisation de leur vie n’est pas le résultat de leur manière de voir et de sentir, mais de ce que certaines formes, nécessaires jadis, continuent d’exister à l’heure qu’il est uniquement par l’inertie de la vie sociale.

Léon Tolstoï

L’étonnant voyage

« Or il y a des mythes du passé et des mythes de l’avenir. Les « mythes de l’avant » projettent le sens de la nature, de la vie, de la société dans un très lointain passé, avant même le début du temps ; les « mythes de l’après » projettent ce sens loin dans l’avenir, jusqu’à la fin des temps. »

Tristan Garcia

La Vie magnétique (1991) – Technique mixte sur papier – 65x50cm

« Le temps est le rivage de l’esprit ; tout passe devant lui, et nous croyons que c’est lui qui passe. »

Antoine de Rivarol

Être et ne pas être

« Nous sommes à l’extrême bord de notre univers rationnel. Un pas de plus, un mot de plus, et c’est le commencement des abîmes, la logique de l’absurde, et l’évidence démontrée de la possibilité de l’impossible. C’est là qu’est Saint-Menoux. Et c’est là qu’il n’est pas. En même temps vivant et non-vivant, noir et blanc, sur la même face, lourd et léger du même poids, parti avant d’être venu… »

René Barjavel

Le voyageur imprudent (2020) – Technique mixte sur papier – Diptyque 60x80cm

Tous, aujourd’hui, nous disposons de moyens nous laissant croire que nous pouvons compenser nos failles, nos malheurs, nos échecs, non seulement en profitant sans compter des systèmes se proposant de plier le réel à nos désirs, mais plus encore par la pratique effrénée de la nouvelle passion contemporaine : l’expressivité. Celle qui permet, de façon plus ou moins enjolivée, de se raconter aux yeux des autres, de voir le moindre de ses propos recevoir des marques d’assentiment, de s’afficher publiquement en vue de signaler l’exceptionnalité de son existence, ou encore de dénoncer, dans la rancœur ou la rage, certaines expériences professionnelles, relationnelles ou autres et plus largement l’ordre du monde. Une pratique maintenant nous sauve : l’usage personnalisé et universalisé de procédés dotés d’une faculté cathartique. C’est cela qui ne cesse d’être cultivé — à satiété, et ad nauseam —, donnant le sentiment que, quoi qu’on vive, quelle que soit la rudesse du réel, un geste, à tout moment, est susceptible d’être engagé : celui d’organiser la narration souvent magnifiée de sa vie, de manifester son courroux à l’égard de personnes ou d’une situation persistante ou passagère, de se venger implicitement ou explicitement de tant d’humiliations vécues, d’éprouver une brève décharge d’intensité et de se trouver à chaque reprise, comme après la messe, le cœur lavé pour un moment. »

Éric Sadin – L’ère de l’individu tyran

Touriste se faisant « débrediner » au débredinoire de Saint-Menoux

Sarcophage contenant les restes de Saint Menoux, percé sur le flanc d’un trou en demi-cercle, dans lequel, selon la légende, les « simples d’esprit » et autres esprits tourmentés ou en souffrance viennent passer la tête pour y laisser leur « folie » ou tout simplement leurs maux de tête.

https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9bredinoire_de_Saint-Menoux

 

Le regard du peintre

« Mais la peinture est un langage, une langue pour les yeux et l’âme. La difficulté est qu’elle puisse émouvoir encore dans ce flot d’images. »

Femme nue assise à sa toilette (2020) – Technique mixte sur papier – 60x40cm

« Qu’est-ce que la peinture par rapport au regard ? Certains grands peintres comme Rothko ont résolu ça par le minimalisme. Moi, j’en ai rajouté, comme Giacometti en a enlevé. Mais c’est toujours par le regard que la peinture vit.

Je ne cherche pas le beau. J’ai un appétit en peinture aussi élémentaire que ça : je cherche l’autre, ce qui me tente chez les hommes et les femmes, le regard… »

Eugène Leroy