Aquarius

« On ne devrait s’aimer que sur un navire, un radeau, on le laisse aller, une fois tout fini, et tout le reste du monde est sauf. »

( Jean Giraudoux, Suzanne et le pacifique)

Aquarius (2022) – Huile sur papier (64x45cm)

« Métaphore de la solitude et de l’isolement, mais de la solitude et de la réclusion choisie, comme tentative de se parler à soi-même, l’île, comme l’écriture qu’elle abrite souvent, figure en littérature, le lieu clos des récits de l’enfermement. Elle s’offre à la méditation sur le deuil, l’exil et l’innocence perdue. Entre le pôle insula et le pôle isola, les îles hébergent toutes sortes de songes allant de l’amour exclusif, au rêve du retour à l’Eden et à une nature idyllique ou encore à une monastique saison du ressourcement où s’arrêterait le temps.

[…]

Le désir de fusion ou de confusion dans le corps maternel, comme lieu de l’origine, constitue un ancrage pour l’écriture, pour le travail artistique en général pour le travail psychanalytique en particulier. La présence d’une île donne un berceau à la création, création artistique ou création des enveloppes du moi qui lui permettront de quitter l’île et de voguer vers le vaste monde. »

Martine Vautherin-Estrade, psychanalyste : http://www.martine-estrade-literarygarden.com/psychanalyse-art/psychanalyse-art-metaphore-ile.php

Le chercheur d’absolu

Les mots…, ils sont déjà devant moi dans la blancheur interne du cahier quand j’entre dans la pénombre.

Le chercheur d’absolu (2022) – Huile sur papier (64x45cm)

« Ce que le sévère historien a si hautement compris, le poète surtout le doit faire ; c’est dans ce recueillement des nuits, dans ce commerce salutaire avec les impérissables maîtres, qu’il peut retrouver tout ce que les frottements et la poussière du jour ont enlevé à sa foi native, à sa blancheur privilégiée. »

SAINTE-BEUVE

https://www.bmlisieux.com/curiosa/stbeuv01.htm

La page blanche

Pourquoi nous efforçons-nous à rendre clair, ou plus clair, ce qui l’est déjà ?

La page blanche (2022) – Huile sur papier (64x45cm)

« La page blanche est là devant moi dans sa blancheur immaculée ; rien n’est écrit sur elle encore ; et par là elle me séduit ; non entamée, vierge, elle semble palpiter de toutes les possibilités qu’elle porte en elle. Elle ne dit rien, mais attend tout ; chargée de toutes les virtualités, elle semble s’épanouir vers l’infini. Elle est là comme une toile de fond, à peine encore à ma portée. C’est qu’au fur et à mesure que je vais sur elle aligner mes pensées, que je vais ainsi la « noircir » — sans donner à ce terme un sens péjoratif — ses possibilités illimitées, ses disponibilités foncières iront en se rétrécissant. Ce sera dit, plus que ce n’est en train de prendre naissance, de s’élaborer, à la source même dont procèdent tout jaillissement et tout mouvement. Pour pénétrante, pour personnelle et « commune » en même temps, que soit ma pensée — en admettant qu’elle l’est — la page, une fois remplie, aura perdu de sa blancheur initiale, et à nouveau je désirerai, dans un éternel recommencement ou plus exactement, dans un éternel retour à la source, dans un commencement toujours renouvelé, l’avoir blanche devant moi. Toile de fond de mes écrits, toile de fond de mes pensées, toile de fond de la vie, inaccessible et pourtant si proche ! Dès lors pourquoi y toucher ? »

Eugène Minkowski, Devant une feuille de papier blanche. Avant-dernières pensées.

https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1963_num_61_70_5207

Le Germe

Le germe (2021) – Huile sur toile – 116x89cm

VAV

Force : tombée sur elle-même : sur elle-même consumée : une fois, une fois encore, elle revenait en quête de son nom : mais elle était sans nom : réponse que nul n’interrogeait : elle cherchait fissures, sillons : la pénétration : elle parcourait affamée des surfaces : le linéaire, le lisse : elle ne se connaissait pas : elle ne savait rien ou ne savait d’elle que cette sensation d’être elle-même force aveugle : elle fut clarté dans le concave : poussa dans l’humide : pénétra les bouches de la terre : mourut : fut conçue : du mourir au non mourir : par-delà la mort : le germe.

José Ángel Valente / Trois leçons de ténèbres

Design et futur

Si l’on considère la société, son économie et ses systèmes de production dans leur ensemble, la vision offerte aujourd’hui est désespérante. C’est en effet, comme si nous avions sous les yeux une énorme voiture qui se précipite toujours plus vite vers le gouffre. Et dont, en sus, le volant et les freins seraient bloqués par une série de mécanismes économiques, législatifs et culturels présentés comme inamovibles.

Les entreprises et les politiques prétendent qu’on ne peut rien faire parce que « les gens » ne veulent pas changer. Inversement, les sujets et les communautés, même quand elles aspirent à un changement, soutiennent que c’est impossible parce que les « entreprises » et les « politiques » ne leur laissent pas d’autres choix.

Les designers sont pris à leur tour dans ce jeu paralysant, bloqués à l’intérieur d’un mécanisme qui semble ne leur permettre d’imaginer que de nouveaux gadgets inutiles ou, au mieux, des améliorations allant dans le sens d’un système dont on sait aujourd’hui qu’il est intrinsèquement voué à la faillite.

Une autre représentation de la réalité (2021) – Huile sur feuille Imagine 350g – 100x70cm

Pour sortir de cette impasse, il faut, avant tout, adopter une autre représentation de la réalité : à savoir, ne plus considérer les gens, les entreprises et les politiques comme des entités « moyennes » mais, au contraire, les voir pour ce qu’ils sont en réalité : des ensembles d’individus et des groupes d’individus aux positions différentes et souvent contradictoires.

« communautés créatrices » : Ezio Manzini et François Jégou

Le piège

« L’histoire de l’humanité devient de plus en plus une course entre l’éducation et la catastrophe. »

Herbert George Wells

La machine à explorer le temps (2010) – Technique mixte sur feuille Imagine 350g – 70x100cm

« Je m’attristai à mesurer en pensée la brièveté du rêve de l’intelligence humaine. Elle s’était suicidée ; elle s’était fermement mise en route vers le confort et le bien-être, vers une société équilibrée, avec sécurité et stabilité comme mots d’ordre ; elle avait atteint son but, pour en arriver finalement à cela. Un jour, la vie et la propriété avait dû atteindre une sûreté presque absolue. Le riche avait été assuré de son opulence et de son bien-être ; le travailleur, de sa vie et de son travail. Sans doute, dans ce monde parfait, il n’y avait eu aucun problème inutile, aucune question qui n’eût été résolue. Et une grande quiétude s’était ensuivie.

« C’est une loi naturelle trop négligée : la versatilité intellectuelle est le revers de la disparition du danger et de l’inquiétude. Un animal en harmonie parfaite avec son milieu est un pur mécanisme. La nature ne fait jamais appel à l’intelligence que si l’habitude et l’instinct sont insuffisants. Il n’y a pas d’intelligence là où il n’y a ni changement, ni besoin de changement. Seuls ont part à l’intelligence les animaux qui ont à affronter une grande variété de besoins et de dangers. »

La machine à explorer le temps de Herbert George Wells

Le souvenir et l’image

Sous l’histoire, la mémoire et l’oubli.

Sous la mémoire et l’oubli, la vie.

Mais écrire la vie est une autre histoire.

Inachèvement.

Paul Ricœur

Le violoncelle bleu (2021) – Huile sur feuille Imagine 350g – 100x70cm

On lit ceci dans la proposition 18 du Livre II de l’Éthique, « De la nature et de l’origine de l’âme » : « Si le corps humain a été affecté une fois par deux ou plusieurs corps simultanément, sitôt que l’Âme imaginera plus tard l’un des deux, il lui souviendra aussi des autres. » C’est sous le signe de l’association des idées qu’est placée cette sorte de court-circuit entre mémoire et imagination : si ces deux affections sont liées par contiguïté, évoquer l’une – donc imaginer –, c’est évoquer l’autre, donc s’en souvenir. La mémoire, réduite au rappel opère ainsi dans le sillage de l’imagination. (Éthique de Baruch Spinoza, tradAppuhn)

Paul Ricœur

Rostropovitch jouant une sonate de Bach au pied du Mur de Berlin.

« Je suis venu jouer ici pour que l’on se souvienne de tous ceux qui sont morts à cause de ce Mur ». Le 11 novembre 1989, le virtuose russe en exil Mstislav Rostropovitch saute dans un vol Paris-Berlin. Le vieil homme, son violoncelle à la main, se fraie un chemin au milieu de la foule exaltée rassemblée au Checkpoint Charlie, mythique point de passage entre l’est et l’ouest. Image qui a marqué les esprits et fait le tour du monde.

Le manque symbolique

«Le problème n’est pas ce que nous ne savons pas, mais ce que nous tenons pour sûr et certain et qui ne l’est pas.»

Mark Twain

Le drap blanc (2021) – Huile sur feuille Imagine 350g – 100x70cm

Le symbole n’existe efficacement que là où il introduit quelque chose de plus que la vie, quelque chose comme un serment, un pacte, une loi sacrée qui fait paraître la mort, la finitude et la conscience de la faute, non pas comme accidentelles, mais comme essentielles à la dignité ou à la singularité élective d’une destinée humaine. Alors que les symboles méthodologiques, comme l’algorithme, sont l’effet d’une convention préalable, les symboles traditionnels sont la source productrice des possibilités de toute convention, de toute liaison formatrice des sociétés proprement humaines dans la mesure où la fonction même de la parole oblige à intégrer la référence au mort (l’ancêtre, le dieu, l’absent) dans le pacte qui noue la relation entre les vivants.

Edmond Ortigues