Écoute, petit homme !

Écoute, petit homme ! par Wilhelm Reich

« Tu es grand, petit homme, quand tu n’es pas petit et misérable. Ta grandeur est le seul espoir qui nous reste. Tu es grand, petit homme, quand tu exerces amoureusement ton métier, quand tu t’adonnes avec joie à la sculpture, à l’architecture, à la peinture, à la décoration, à ton activité de semeur ; tu es grand quand tu trouves ton plaisir dans le ciel bleu, dans le chevreuil, dans la rosée, dans la musique, dans la danse, quand tu admires tes enfants qui grandissent, la beauté du corps de ta femme ou de ton mari ; quand tu te rends au planétarium pour étudier les astres, quand tu lis à la bibliothèque ce que d’autres hommes et femmes ont écrit sur la vie. Tu es grand quand, grand-père, tu berces ton petit-enfant sur tes genoux et lui parles des temps passés, quand tu regardes l’avenir incertain avec une confiance et une curiosité enfantines. »

 

PETIT-HOMME

« Si, petit homme, tu as de la profondeur en toi, mais tu l’ignores. Tu as une peur mortelle de ta profondeur, c’est pourquoi tu ne la sens ni ne la vois. C’est pourquoi tu es pris de vertige et tu chancelles comme au bord d’un abîme, quand tu aperçois ta propre profondeur. Tu as peur de tomber et de perdre ainsi ton « individualité » si jamais tu obéis aux pulsions de la nature. Quand, avec la meilleure bonne foi, tu tentes de parvenir à toi-même, tu ne trouves jamais que le petit homme cruel, envieux, goulu, voleur. Si tu n’étais pas profond dans ta profondeur, je n’aurais pas rédigé ce texte. Je connais ta profondeur, je l’ai découverte quand tu venais me voir pour confier au médecin tes misères. C’est cette profondeur en toi qui est ton avenir. »

EcoutePetitHomme

DEBOUT, PETIT HOMME !

« En 1948 paraît un texte qui n’avait pas vocation à être publié, Écoute, petit homme !, écrit par le psychanalyste autrichien Wilhelm Reich au soir de la Seconde Guerre mondiale, élève de Freud et rédigeant jusque-là essentiellement des ouvrages théoriques. Ce texte est un cri de rage contre le « petit homme », l’homme ordinaire, ni riche, ni puissant, ni connu, qui a laissé se commettre les pires atrocités depuis le début du XXe siècle et en particulier durant la Seconde Guerre mondiale. Reich le tient pour seul responsable des barbaries commises par les dictateurs du monde, le petit homme ayant fui ses responsabilités :

Tu avais le choix entre la montée aux cimes pour devenir le “surhomme” de Nietzsche et la descente pour devenir le “sous-homme” d’Hitler. Tu as crié “heil” et tu as choisi l’“Untermensch”.

Tu avais le choix entre les institutions vraiment démocratiques de Lénine et la dictature de Staline. Tu as choisi la dictature de Staline. […]

Tu avais le choix entre la théorie de Marx sur la productivité de la force de ton travail qui seul crée la valeur des biens – et l’idée de l’État. Tu as oublié l’énergie vivante de ton travail et tu as choisi l’idée de l’État. […]

Chacune   de   ces  défaillances   révèle  la  grande  misère  de  l’animal  humain.  Tu  dis : « Pourquoi prendre tout ça au tragique ? » Est-ce que tu te sens responsable de tous ces maux ?

En parlant ainsi, tu te condamnes toi-même. Si tu assumais seulement une fraction de la responsabilité qui t’incombe, le monde ne serait pas ce qu’il est, et tu ne tuerais pas tes grands amis par tes petites bassesses. (Reich, 2019 [1948], p. 91-93). […]

Mais la question est pourquoi le petit homme se dessaisit-il de ses responsabilités ? Pourquoi laisse-t-il cela à quelques puissants ? cette désaffection des responsabilités vient du fait que les aspirations profondes du petit homme sont menacées dans leur réalisation : […] tu ne te soucies pas des soucis [du monde], tu as assez de soucis ! » (Reich, 2019 [1948], p. 62).

Quelles sont ses aspirations profondes ? Elles sont au nombre de trois : la sécurité, la justice et la « vie bonne ».

La sécurité n’est pas seulement celle de l’intégrité physique, la sécurité à laquelle aspire le petit homme est surtout matérielle. Il souhaite s’assurer que lui et sa famille auront tout ce qu’il leur faut avant de pouvoir penser à autre chose. Durant la crise des Gilets jaunes, on a souvent opposé « fin du mois » et « fin du monde ». S’il s’avère impossible de boucler la fin du mois, comment penser à la fin du monde ? Assurer les moyens de subsistance pour tous est la condition d’un intérêt général pour la protection de la planète. Ensuite, la justice est une valeur universelle. C’est bien ce que montre l’expérience maintenant mondialement connue du spécialiste des primates, Frans de Waal, qui montre le comportement de deux singes capucins en présence d’inégalités. Dans l’expérience, on présente aux singes une pierre qu’ils doivent prendre pour frapper la paroi de leur cage. Une fois le geste effectué, ils rendent la pierre et on leur tend une tranche de concombre à manger. Si les deux singes reçoivent en échange le bout de concombre, ils peuvent effectuer ce geste plusieurs fois d’affilée sans rechigner. Maintenant, si l’un des singes obtient systématiquement, au lieu d’une tranche de concombre, un raisin, meilleur aux yeux des singes capucins, le second singe, recevant, toujours lui, des bouts de concombre à l’issue de son geste, finira par piquer une colère noire, jetant avec dégoût au milieu de la pièce la rondelle de concombre qu’on persiste à lui offrir. Comment accepter d’œuvrer pour le bien commun si nous nous ne sommes pas tous traités de la même manière ?

Enfin reprenant les termes d’Aristote, la « bonne vie » est la dernière aspiration fondamentale guidant la petit homme. Parlant à la place du petit homme, Reich la résume en deux phrases : «  Je déteste la guerre, ma femme se lamente quand je suis appelé sous les drapeaux, mes enfants meurent de faim quand les armées prolétariennes occupent mon pays, les cadavres s’entassent par milliers. Tout ce que je veux, c’est labourer mon champ, jouer après le travail avec mes enfants, aller le dimanche danser ou écouter de la musique » (Reich, 2019 [1948], p. 152). Des choses simples, mais pleines de sens. La « non-satiété » de l’Homo œconomicus n’est qu’une fable de la « science » économique.

Ces trois aspirations fondamentales sont les piliers de tout être humain. Les menacer, c’est remettre en cause la dignité de l’individu et, avant toute chose, il se battra pour les protéger. Les pires atrocités du XXe siècle ont eu lieu parce que ses aspirations étaient bafouées. Dans un contexte de détresse comme la Grande Dépression des années 1930, le terreau social était fertile pour que les totalitarismes profitent des faiblesses du petit homme en lui faisant miroiter monts et merveilles. Le petit homme a laissé les mains libres aux totalitarismes, espérant retrouver un tant soit peu de sécurité, de justice et de bonne vie. En quoi il avait tort. »

Paul Jorion, Vincent Burnand-Galpin  COMMENT SAUVER LE GENRE HUMAIN  fayard

COMMENT SAUVER LE GENRE HUMAIN

Le vrai visage du passé

« A la fin de l’ère tertiaire, il y avait en Europe une extraordinaire variété d’animaux. Bien que le climat ne fût pas tropical, nos régions offraient un vrai spectacle de jardin zoologique, digne des savanes africaines d’il y a cent ans. Des troupeaux de mastodontes, de chevaux sauvages, de zèbres, d’hippopotames, peuplaient les plaines et les rivières de France. Des daims de grande taille, des ours, des rhinocéros, des tigres à canines en sabre, des castors géants se reposaient à l’ombre des chênes et des noyers. […]                    A première vue, il paraît surprenant, alors que le climat n’était pas très différent de celui d’aujourd’hui, que notre pays fût peuplé d’une faune d’allure africaine, avec des hippopotames et des rhinocéros. Mais en réalité ces animaux ne sont pas plus spécialement africains qu’européens. Il se trouve seulement qu’ils ont survécu en Afrique, alors qu’ils ont disparu en Europe. A cela, il y a deux explications. Tout d’abord, en Afrique, les oscillations climatiques ont pu aller du climat tropical au climat équatorial ; de l’un à l’autre la différence n’était pas mortelle pour les grands animaux. En Europe, l’écart n’était sans doute guère plus important entre le climat tempéré doux et les froids des périodes glaciaires ; mais ceux-ci étaient suffisants pour faire périr beaucoup d’animaux. La seconde raison c’est qu’en Europe l’homme — c’est-à-dire le chasseur — était présent un peu partout, tandis qu’en Afrique il laissait de grands espaces inhabités, du moins par lui. Une bonne preuve de l’importance des ravages exercés par l’homme dans les espèces animales, c’est qu’il y a quelques siècles à peine, on trouvait encore en Asie, sous les climats semblables au nôtre, des lions, des rhinocéros, des tapirs. Ils ont disparu à une date relativement récente, exterminés non par les conditions naturelles, mais par l’homme. Et en Asie centrale, en Sibérie, où les hivers sont beaucoup plus rudes qu’en France, il reste bien encore des tigres et des panthères. »

—Les hommes de la préhistoire, Les chasseurs, par André Leroi-Gourhan.

tigre

Selon les dernières estimations de WWF et de Global Tiger Forum, il resterait seulement 50 léopards à l’état sauvage. Encore plus alarmant, la population des panthères des neiges a décliné de 20% ces 20 dernières années, et 95% de la population de tigres sauvages a disparu. Il n’en resterait que 4000 sur Terre. Des chiffres alarmants qui prouvent une réalité cruelle : les grands félins sont en voie d’extinction.