La page blanche

Pourquoi nous efforçons-nous à rendre clair, ou plus clair, ce qui l’est déjà ?

La page blanche (2022) – Huile sur papier (64x45cm)

« La page blanche est là devant moi dans sa blancheur immaculée ; rien n’est écrit sur elle encore ; et par là elle me séduit ; non entamée, vierge, elle semble palpiter de toutes les possibilités qu’elle porte en elle. Elle ne dit rien, mais attend tout ; chargée de toutes les virtualités, elle semble s’épanouir vers l’infini. Elle est là comme une toile de fond, à peine encore à ma portée. C’est qu’au fur et à mesure que je vais sur elle aligner mes pensées, que je vais ainsi la « noircir » — sans donner à ce terme un sens péjoratif — ses possibilités illimitées, ses disponibilités foncières iront en se rétrécissant. Ce sera dit, plus que ce n’est en train de prendre naissance, de s’élaborer, à la source même dont procèdent tout jaillissement et tout mouvement. Pour pénétrante, pour personnelle et « commune » en même temps, que soit ma pensée — en admettant qu’elle l’est — la page, une fois remplie, aura perdu de sa blancheur initiale, et à nouveau je désirerai, dans un éternel recommencement ou plus exactement, dans un éternel retour à la source, dans un commencement toujours renouvelé, l’avoir blanche devant moi. Toile de fond de mes écrits, toile de fond de mes pensées, toile de fond de la vie, inaccessible et pourtant si proche ! Dès lors pourquoi y toucher ? »

Eugène Minkowski, Devant une feuille de papier blanche. Avant-dernières pensées.

https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1963_num_61_70_5207

Un monde clos

Alors que tout s’affole autour de soi, comment conjuguer la menace et le calme, l’alarme et l’attente ?

Un monde clos (2022) – Huile sur papier (64x45cm)

La science ne veut pas être un art : généalogie d’une technique sans conscience

« Avec la modernité galiléenne, l’homme, ainsi exclu du monde en acte, n’est plus qu’un sujet passif, observant l’univers déjà donné dans sa totalité. Et c’est cela l’extraordinaire imposture idéologique de la pensée moderne, affirmant que Galilée, pour la première fois, ouvre l’univers infini de la connaissance, fait sortir l’homme du monde clos, et lui apporte la liberté. Alors que, bien au contraire, sa formulation du problème de l’existence élimine de manière radicale la condition de la présence pleine et entière de l’homme dans la nature. Elle lui interdit de prendre toute position intellectuelle qui lui laisserait jouer un rôle pleinement créatif en transformant la nature. Elle lui refuse de droit de prendre cette nature comme une totalité à la fois physique et spirituelle, ou bien morale, peu importe ici. Bref, l’homme perd la liberté d’imaginer à sa guise sa puissance et sa gloire dans l’univers dont il fait partie, alors même qu’il va gagner au siècle suivant sa liberté politique dans le monde terrestre. Cet effet de compensation est troublant, et mérite qu’on le prenne comme une part de la question posée à l’idéologie scientiste contemporaine, qui croit pouvoir allier progrès technique et évolution démocratique. » 

Alain Gras, Socio-anthropologue, professeur à l’Université de Paris 1, UFR de Philosophie, Centre d’Etude des Techniques, des Connaissances et des Pratiques.

« Un nouveau procès pour Galilée », paru dans Alliage, n°47 – Juillet 2001, mis en ligne le 31 août 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3807.

Le manque symbolique

«Le problème n’est pas ce que nous ne savons pas, mais ce que nous tenons pour sûr et certain et qui ne l’est pas.»

Mark Twain

Le drap blanc (2021) – Huile sur feuille Imagine 350g – 100x70cm

Le symbole n’existe efficacement que là où il introduit quelque chose de plus que la vie, quelque chose comme un serment, un pacte, une loi sacrée qui fait paraître la mort, la finitude et la conscience de la faute, non pas comme accidentelles, mais comme essentielles à la dignité ou à la singularité élective d’une destinée humaine. Alors que les symboles méthodologiques, comme l’algorithme, sont l’effet d’une convention préalable, les symboles traditionnels sont la source productrice des possibilités de toute convention, de toute liaison formatrice des sociétés proprement humaines dans la mesure où la fonction même de la parole oblige à intégrer la référence au mort (l’ancêtre, le dieu, l’absent) dans le pacte qui noue la relation entre les vivants.

Edmond Ortigues

Le non-agir

« Tout changement est un changement du sujet dont on parle. »

César Aira

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La voie de la vie (2006) – Technique mixte sur papier – 65x50cm

Tous les malheurs de l’humanité proviennent, selon Laozi, non pas de ce que les hommes ont négligé de faire ce qui était nécessaire, mais de ce qu’ils font ce qui ne l’est pas ; de sorte que si les hommes pratiquaient comme il le dit le non-agir, ils seraient non seulement débarassés de leurs calamités personnelles, mais encore de celles inhérentes à toute forme de gouvernement, ce dont se préoccupe tout particulièrement le philosophe chinois. L’idée de Laozi paraît bizarre, mais il est impossible de ne pas être de son opinion quand on considère les résultats auxquels aboutissent les occupations de la grande majorité des hommes de notre temps. […]

Il suffit à l’homme actuel de s’arrêter un instant dans son activité et de réfléchir, de comparer les exigences de sa raison et de son cœur avec les conditions de la vie telle qu’elle est pour qu’il s’aperçoive que toute sa vie, toutes ses actions sont en contradiction incessante et criante avec sa conscience, sa raison et son cœur. […]

De sorte que pour la grande majorité d’hommes de notre monde, l’organisation de leur vie n’est pas le résultat de leur manière de voir et de sentir, mais de ce que certaines formes, nécessaires jadis, continuent d’exister à l’heure qu’il est uniquement par l’inertie de la vie sociale.

Léon Tolstoï

L’étonnant voyage

« Or il y a des mythes du passé et des mythes de l’avenir. Les « mythes de l’avant » projettent le sens de la nature, de la vie, de la société dans un très lointain passé, avant même le début du temps ; les « mythes de l’après » projettent ce sens loin dans l’avenir, jusqu’à la fin des temps. »

Tristan Garcia

La Vie magnétique (1991) – Technique mixte sur papier – 65x50cm

« Le temps est le rivage de l’esprit ; tout passe devant lui, et nous croyons que c’est lui qui passe. »

Antoine de Rivarol

La nature de l’art

Qu’est-ce que l’art, s’il n’est même plus une création humaine ? Est « art » ce qui procure une émotion artistique à celui qui contemple une œuvre. Oscar Wilde ne disait-il pas : “La beauté est dans les yeux de celui qui regarde” ? Peu importe qu’il s’agisse là de la création/production d’une personne, d’un robot, d’un ordinateur ou d’un algorithme ?

Jean-Jacques Neuer

Je ne suis pas un robot (2020) – Technique mixte sur papier – 60x40cm

Le mot « robot » est d’origine tchèque. Il a été utilisé pour la première fois en 1921 par Karel Capek dans sa pièce de théâtre de science-fiction, R. U. R. (Rossum’s Universal Robots). « Robot » vient de robota qui signifie « corvée », et rob est l’ « esclave » en slave ancien. La pièce de Karel Capek avait une consonance économique et philosophique. D’une chaîne de montage fabriquée par un industriel sortaient des robots androïdes destinés à être envoyés partout dans le monde. Mais au bout de dix ans, les robots se révoltèrent, prirent le contrôle de la chaîne de montage, construisirent de plus en plus de robots et anéantirent l’humanité. Capek a exprimé dans sa pièce l’angoisse de l’homme qui, tel l’Apprenti sorcier de Goethe, est dépassé par sa propre création. Le robot doué d’intelligence et de créativité cristalliserait cette angoisse.

AFIS science (Association Française pour l’Information Scientifique)

Un monde inversé

La baleine est l’unique créature de ce monde dont nul portrait authentique ne sera fait jusqu’à la fin. […] De sorte qu’il n’existe pas de moyen terrestre qui vous permette de découvrir réellement de quoi a l’air une baleine.

Moby-Dick de Herman Melville : chap. 55, p. 385

Le cachalot blanc (2020) – Technique mixte sur papier – 60x40cm

La fiction de Melville dans Moby-Dick est une prose réflexive, où les événements racontés sont souvent idéationnels et possèdent une charge symbolique importante. Mais il y a encore davantage pour le Melville écrivain au tournant des années 1850 : le roman possède pour lui à cette époque une visée de révélation : il apparaît comme une littérature expérimentale, de la quête et de l’art de dire la vérité (il pose rien de moins que le « problème de l’univers »), mais aussi et surtout de la force et des limites incantatoires du langage. Plus que la chasse effective du capitaine Achab (qui n’occupe que les trois derniers des cent trente-cinq chapitres), Moby-Dick est aussi le voyage en mer du Narrateur, Ismaël, à la recherche de « l’insaisissable fantôme de la vie » (chap. 1, p. 44), et sans doute surtout de nous lecteurs, sur la mer des signes.

Moby-Dick de Herman Melville : de l’allégorie de la caverne à l’allégorie de la baleine. André Duhamel

La nature morte

« L’art n’a d’autre objet que d’écarter (…) tout ce qui nous masque la réalité , pour nous mettre face à la réalité elle-même. »

Henri Bergson

Souvent les œuvres d’art nous fascinent par leur dimension imaginaire, lorsqu’elles inventent des univers utopiques ou merveilleux. Or, Berg­son définit au contraire l’art comme ce qui donne accès à la réalité. En quoi serions-nous aveugles au monde et comment l’art pourrait-il restaurer notre clairvoyance ?

Selon Bergson, notre perception de la réalité est biaisée, orientée par nos besoins pratiques. Au lieu de nous laisser envahir par la richesse des images, des sensations et des sons que nous propose le monde, nous sélectionnons parmi ces impressions celles qui favorisent l’assouvissement de nos besoins. Ainsi, lorsque je remarque un compotier de fruits, j’y cherche la pomme la plus savoureuse pour contenter ma gourmandise. Mais Cézanne, lui, contemple ce compotier indépendamment de sa fonction, pour y saisir ce qu’il donne à voir : un ensemble de formes et de couleurs qui jouent dans la lumière d’un après-midi finissant. Lorsqu’il le peint sur sa toile, il restitue la réalité même de ce compotier, que nous avions négligée en concentrant notre regard sur ce qui nous intéressait. C’est en ce sens que l’artiste est capable de renouveler notre perception en levant le voile qui recouvre le monde, et c’est là, selon Bergson, l’ultime finalité des productions artistiques.

Nul besoin, en somme, d’attendre de l’art qu’il crée des univers fabuleux, puisqu’il lui suffit de se consacrer à la réalité pour parvenir à rendre étrange ce qui nous semblait si familier.

Citations philosophiques expliquées de Florence Perrin, Alexis Rosenbaum.

Le compotier, pomme, poires (2020) – Technique mixte sur papier – 60x40cm

Quel est l’objet de l’art ? Si la réalité venait frapper directement nos sens et notre conscience, si nous pouvions entrer en communication immédiate avec les choses et avec nous-mêmes, je crois bien que l’art serait inutile, ou plutôt que nous serions tous artistes, car notre âme vibrerait alors continuellement à l’unisson de la nature. Nos yeux, aidés de notre mémoire, découperaient dans l’espace et fixeraient dans le temps des tableaux inimitables. Notre regard saisirait au passage, sculptés dans le marbre vivant du corps humain, des fragments de statue aussi beaux que ceux de la statuaire antique. Nous entendrions chanter au fond de nos âmes, comme une musique quelquefois gaie, plus souvent plaintive, toujours originale, la mélodie ininterrompue de notre vie intérieure. Tout cela est autour de nous, tout cela est en nous, et pourtant rien de tout cela n’est perçu par nous distinctement. Entre la nature et nous, que dis-je ? Entre nous et notre propre conscience, un voile s’interpose, voile épais pour le commun des hommes, voile léger, presque transparent, pour l’artiste et le poète. Quelle fée a tissé ce voile ? Fut-ce par malice ou par amitié ? Il fallait vivre, et la vie exige que nous appréhendions les choses dans le rapport qu’elles ont à nos besoins. Vivre consiste à agir. Vivre, c’est n’accepter des objets que l’impression utile pour y répondre par des réactions appropriées : les autres impressions doivent s’obscurcir ou ne nous arriver que confusément. Je regarde et je crois voir, j’écoute et je crois entendre, je m’étudie et je crois lire dans le fond de mon cœur. Mais ce que je vois et ce que j’entends du monde extérieur, c’est simplement ce que mes sens en extraient pour éclairer ma conduite ; ce que je connais de moi-même, c’est ce qui affleure à la surface, ce qui prend part à l’action. Mes sens et ma conscience ne me livrent donc de la réalité qu’une simplification pratique. Dans la vision qu’ils me donnent des choses et de moi-même, les différences inutiles à l’homme sont effacées, les ressemblances utiles à l’homme sont accentuées, des routes me sont tracées à l’avance où mon action s’engagera. Ces routes sont celles où l’humanité entière a passé avant moi. Les choses ont été classées en vue du parti que j’en pourrai tirer. Et c’est cette classification que j’aperçois, beaucoup plus que la couleur et la forme des choses. Sans doute l’homme est déjà très supérieur à l’animal sur ce point. Il est peu probable que l’œil du loup fasse une différence entre le chevreau et l’agneau ; ce sont là, pour le loup, deux proies identiques, étant également faciles à saisir, également bonnes à dévorer. Nous faisons, nous, une différence entre la chèvre et le mouton ; mais distinguons-nous une chèvre d’une chèvre, un mouton d’un mouton ? L’individualité des choses et des êtres nous échappe toutes les fois qu’il ne nous est pas matériellement utile de l’apercevoir. Et là même où nous la remarquons (comme lorsque nous distinguons un homme d’un autre homme), ce n’est pas l’individualité même que notre œil saisit, c’est-à-dire une certaine harmonie tout à fait originale de formes et de couleurs, mais seulement un ou deux traits qui faciliteront la reconnaissance pratique.
Enfin, pour tout dire, nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin, s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même. Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles, comme en un champ clos où notre force se mesure utilement avec d’autres forces ; et fascinés par l’action, attirés par elle, pour notre plus grand bien, sur le terrain qu’elle s’est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes. Mais de loin en loin, par distraction, la nature suscite des âmes plus détachées de la vie. Je ne parle pas de ce détachement voulu, raisonné, systématique, qui est œuvre de réflexion et de philosophie. Je parle d’un détachement naturel, inné à la structure du sens ou de la conscience, et qui se manifeste tout de suite par une manière virginale, en quelque sorte, de voir, d’entendre ou de penser. Si ce détachement était complet, si l’âme n’adhérait plus à l’action par aucune de ses perceptions, elle serait l’âme d’un artiste comme le monde n’en a point vu encore. Elle excellerait dans tous les arts à la fois, ou plutôt elle les fondrait tous en un seul. Elle apercevrait toutes choses dans leur pureté originelle, aussi bien les formes, les couleurs et les sons du monde matériel que les plus subtils mouvements de la vie intérieure. Mais c’est trop demander à la nature. Pour ceux mêmes d’entre nous qu’elle a faits artistes, c’est accidentellement, et d’un seul côté, qu’elle a soulevé le voile. C’est dans une direction seulement qu’elle a oublié d’attacher la perception au besoin. Et comme chaque direction correspond à ce que nous appelons un sens, c’est par un de ses sens, et par ce sens seulement, que l’artiste est ordinairement voué à l’art. De là, à l’origine, la diversité des arts. De là aussi la spécialité des prédispositions. Celui-là s’attachera aux couleurs et aux formes, et comme il aime la couleur pour la couleur, la forme pour la forme, comme il les perçoit pour elles et non pour lui, c’est la vie intérieure des choses qu’il verra transparaître à travers leurs formes et leurs couleurs. Il la fera entrer peu à peu dans notre perception d’abord déconcertée. Pour un moment au moins, il nous détachera des préjugés de forme et de couleur qui s’interposaient entre notre œil et la réalité. Et il réalisera ainsi la plus haute ambition de l’art, qui est ici de nous révéler la nature. — D’autres se replieront plutôt sur eux-mêmes. Sous les mille actions naissantes qui dessinent au-dehors un sentiment, derrière le mot banal et social qui exprime et recouvre un état d’âme individuel, c’est le sentiment, c’est l’état d’âme qu’ils iront chercher simple et pur. Et pour nous induire à tenter le même effort sur nous-mêmes, ils s’ingénieront à nous faire voir quelque chose de ce qu’ils auront vu : par des arrangements rythmés de mots, qui arrivent ainsi à s’organiser ensemble et à s’animer d’une vie originale, ils nous disent, ou plutôt ils nous suggèrent, des choses que le langage n’était pas fait pour exprimer. — D’autres creuseront plus profondément encore. Sous ces joies et ces tristesses qui peuvent à la rigueur se traduire en paroles, ils saisiront quelque chose qui n’a plus rien de commun avec la parole, certains rythmes de vie et de respiration qui sont plus intérieurs à l’homme que ses sentiments les plus intérieurs, étant la loi vivante, variable avec chaque personne, de sa dépression et de son exaltation, de ses regrets et de ses espérances. En dégageant, en accentuant cette musique, ils l’imposeront à notre attention ; ils feront que nous nous y insérerons involontairement nous-mêmes, comme des passants qui entrent dans une danse. Et par là ils nous amèneront à ébranler aussi, tout au fond de nous, quelque chose qui attendait le moment de vibrer. — Ainsi, qu’il soit peinture, sculpture, poésie ou musique, l’art n’a d’autre objet que d’écarter les symboles pratiquement utiles, les généralités conventionnellement et socialement acceptées, enfin tout ce qui nous masque la réalité, pour nous mettre face à face avec la réalité même. C’est d’un malentendu sur ce point qu’est né le débat entre le réalisme et l’idéalisme dans l’art. L’art n’est sûrement qu’une vision plus directe de la réalité. Mais cette pureté de perception implique une rupture avec la convention utile, un désintéressement inné et spécialement localisé du sens ou de la conscience, enfin une certaine immatérialité de vie, qui est ce qu’on a toujours appelé de l’idéalisme. De sorte qu’on pourrait dire, sans jouer aucunement sur le sens des mots, que le réalisme est dans l’oeuvre quand l’idéalisme est dans l’âme, et que c’est à force d’idéalité seulement qu’on reprend contact avec la réalité.

Henri Bergson, Le rire, Chapitre III, Le comique de caractère (extrait)

Tout au fond de l’espace

« Les enfants seuls savent ce qu’ils cherchent…»

Antoine de Saint-Exupéry

L’enfant et l’animal (2020) – Technique mixte sur papier – 60x40cm

Comme tous les enfants, le Petit Prince est curieux et se pose un tas de questions sur la vie. Seulement, sur sa planète perdue tout au fond de l’espace, il n’y a pas de distraction et personne pour lui faire vraiment la conversation. Il aimerait découvrir le monde et trouver les réponses à ses questions. Un jour donc, le voici qui part à l’aventure! Au cours de ce voyage, il va rencontrer toutes sortes de grandes personnes. Elles savent lire, écrire, compter et connaissent plein de choses savantes! Mais aucune ne lui donne les réponses qu’il attend. Aucune ne lui tend la main. Alors le Petit Prince continue son chemin. Enfin, un matin, sa route croise celle d’un petit renard. « Que cherches-tu ? » lui demande l’animal. Le Petit Prince est surpris. C’est la première fois que quelqu’un s’intéresse à lui. Il arrête donc son voyage, s’assied dans l’herbe et se met à faire quelque chose d’un peu magique et mystérieux : réfléchir… 

Le Petit Prince : La philosophie pour les petits – Auteur : Emmanuelle Lepetit

Il sera une fois… le Tout en Un

Sous nos yeux, l’Humanité tisse son cerveau… le Point critique de Réflexion planétaire, fruit de la socialisation, loin d’être une simple étincelle dans la nuit, correspond au contraire à notre passage, par retournement ou matérialisation, sur une autre face de l’univers : non pas une fin de l’Ultrahumain, mais son accession à quelque Transhumain, au coeur même des choses.

Tout se passe comme si l’Un se formait par unifications successives du Multiple — et comme s’il était d’autant plus parfait qu’il centralise sous lui plus parfaitement un plus vaste Multiple .

Pierre Teilhard de Chardin