Lune rouge

Les jours sont des fruits et notre rôle est de les manger, de les goûter doucement ou voracement selon notre nature propre, de profiter de tout ce qu’ils contiennent, d’en faire notre chair spirituelle et notre âme, de vivre.

Jean Giono

Le fruit défendu (2020) – Technique mixte sur papier – 50x40cm

Le terme menstruation vient du mot latin mensis « mois » (proche du grec mene, la lune) qui évoque une parenté avec les cycles lunaires mensuels.

À l’orée de soi

Ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau.

Paul Valéry

À l’orée d’une forêt (2020) – Technique mixte sur papier – 60x40cm

« Peau » en hébreu a la même vocalisation que « Lumière » — Aor…

אור la Lumière – עור la peau

Seule le lettre initiale est différente. Certains kabbalistes parlent de ce fait de « tuniques de lumière ».

Cette lumière est l’or de l’aurore ou du soir qui tombe, marquant les limites du jour.

Under the Skin (Sous la peau), de Jonathan Glazer

Le Grand Jeu du Monde

« Laissez-moi vous rappeler l’origine étymologique du mot « personne », emprunté presque sans modification au latin persona par les langues européennes, aussi unanimes ici que dans l’adoption, par exemple, du mot « politique », dérivé du grec polis. Ce n’est certainement pas un hasard si une part aussi importante de la terminologie qui, dans toute l’Europe, sert à débattre de droit, de politique et de philosophie est issue d’une même source venue de l’Antiquité. Ce vocabulaire fournit en quelque sorte l’accord fondamental dont les multiples harmoniques résonnent à travers l’histoire intellectuelle de l’humanité occidentale.

Persona, en l’espèce, désignait à l’origine le masque qui couvrait le visage individuel, « personnel », de l’acteur, et indiquait au spectateur son rôle et sa fonction dans la pièce. Mais dans ce masque, dont la pièce commandait le dessin, était ménagée à l’endroit de la bouche une large ouverture au travers de laquelle la voix individuelle et non déguisée de l’acteur pouvait résonner. C’est à cette résonance que le mot persona fait à l’origine référence ; per-sonare, « résonner à travers », et le verbe dont persona, le masque, est le substantif. Et les Romains eux-mêmes furent les premiers à user du mot en un sens métaphorique ; en droit romain, la persona désignait le titulaire de droits civiques par opposition à homo, substantif réservé à celui qui ne fait qu’appartenir à l’espèce humaine, qui est certes distinct de l’animal, mais est privé d’attributs ou de qualité spécifiques, de sorte que ce dernier mot, à l’instar du grec anthropos, fut souvent employé avec une nuance de mépris pour désigner des individus privés de toute protection juridique.

Si l’acceptation latine de la personne sert mon propos, c’est qu’elle appelle l’usage figuré ; or les métaphores sont l’aliment quotidien de toute pensée conceptuelle. Le masque romain illustre très précisément la manière dont nous apparaissons dans la société, où nous ne sommes pas des citoyens rendus égaux par l’espace public institué et réservé pour la parole et l’action politique, mais où nous sommes accueillis à titre d’individus, pour ce que nous sommes et nullement comme de simples êtres humains. Notre apparition et notre reconnaissance par autrui sur cette scène qu’est le monde sont commandées par le rôle, en « résonnant » pour ainsi dire à travers lui, que se manifeste quelque chose d’autre de tout à fait singulier et indéfinissable, quelque chose qui reste néanmoins identifiable avec une parfaite certitude, de sorte qu’un brusque renversement de rôles n’engendre pas de confusion (lorsque par exemple l’étudiant atteint son but et se transforme en enseignant, lorsque la maîtresse de maison que nous connaissons dans ses fonctions de médecin sert ses invités au lieu de soigner ses patients). Autrement dit, la vertu de la notion de persona pour mon propos tient au fait que les masques ou les rôles que le monde nous assigne, qu’il nous faut accepter et dont nous devons même faire l’apprentissage si nous voulons un tant soit peu participer au jeu du monde, sont interchangeables. Ils ne sont pas inaliénables au sens où l’on parle de « droits inaliénables », ils ne sont pas associés pour toujours à notre for intérieur, au sens où la voix de la conscience, comme le veut une croyance répandue, accompagne sans cesse l’âme humaine. »

(Extrait du discours Le Grand Jeu du Monde d’Hannah Arendt, Copenhague, 1975)

SATYRICONFederico Fellini sur le tournage de Satyricon 1969

Du levant au couchant

Europe L’étymologie grecque couramment admise de ce nom y voit un composé de εὐρύς, « large » et ὤψ, « œil, vue ». La terre « à l’aspect large » constitue une vieille épithète de la terre que l’on retrouve dans plusieurs traditions indo-européennes : « la large terre » en grec, « la large terre » ou simplement « la large » en sanskrit, et de même dans les langues germaniques. Europe serait ainsi l’une des figures de la déesse Terre, renouvelée.
Cependant cette étymologie ne tient pas compte de l’origine phénicienne d’Europe. En arabe, langue phénicienne comptant le plus de locuteurs de nos jours, « aruba » veut dire belle femme aimante, et c’est une caractéristique plausible d’Europe, fille d’Agénor.
Selon une autre hypothèse, la première mention connue du mot proviendrait d’une stèle assyrienne, qui distingue les rivages de la mer Égée par deux mots phéniciens : Assou, le « levant », et Ereb, le « couchant ». L’origine des noms grecs Asia et Eurôpê se trouverait dans ces deux termes sémitiques par lesquels les marins phéniciens désignaient les rives opposées de la Grèce actuelle et de l’Anatolie. La mythologie grecque perpétuerait l’origine sémitique du mot, en en faisant le nom de la princesse phénicienne.

L'Enl_vement d'Europe

Cercles dans la mer

L’écriture dans les deux sens s’appelle, l’écriture boustrophédon. Le mot vient du grec ancien bous « bœuf » et de strophé « action de tourner ». C’est un système d’écriture qui change alternativement le sens du tracé, ligne après ligne, à la manière du bœuf marquant les sillons dans un champ, allant de droite à gauche puis de gauche à droite. Ainsi les sillons dans les champs sont à l’image de l’écriture. Et la charrue s’accorde aussi à la navette du métier à tisser. Tout simplement parce que, de même que la navette allait et venait dans un sens et dans l’autre sur le métier, on écrivait, dans l’Antiquité, selon le même mouvement d’aller-retour… Ainsi certaines anciennes écritures (grecque, étrusque…) illustrent cette manière de faire. Le grec s’écrivit tout d’abord de droite à gauche puis dans les deux sens, et enfin de gauche à droite. De la même façon, le film Premier Contact essaie de fonctionner sur un système de boucle. Denis Villeneuve s’attarde ainsi sur le seul modèle qu’il peut attribuer à l’être humain : celui de l’aller et du retour, parcours intemporel et universel de l’homme prenant ici forme autour du symbole du palindrome, ce mot qui peut être lu dans les deux sens. On ne peut avancer qu’en regardant son reflet dans le miroir, limite d’un voyage qui nous indique le chemin du retour, pour revenir à un point de départ également point d’arrivée.

Cercles dans la mer

Alexander Harrison, Cercles dans la mer